| Philippe Riviere on Fri, 12 May 2000 10:00:19 +0200 (CEST) |
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| [nettime-fr] L'Ornitho No23 - Contre la corruption étatique, l'espionnage libéral |
Subject: L'Ornitho No23 - Invité - Contre la corruption étatique, l'espionnage libéral
http://www.ornitho.org/
« Pourquoi l'Amérique espionne ses alliés (1). » Sous ce titre,
l'ancien directeur de la CIA, M. James Woolsey, endosse quasi
officiellement, dans le Wall Street Journal, l'existence du système
Echelon (2). Il affirme en particulier l'« honnêteté intellectuelle »
du rapport remis au Parlement européen par le journaliste Duncan
Campbell. Ce dernier, après de longues années d'enquête, avait mis au
jour le réseau de surveillance globale des télécommunications -
téléphone, fax, courrier électronique maintenu par la National
Security Agency (NSA) américaine et ses homologues britannique,
australienne, néo-zélandaise et canadienne (le réseau implique
également, à des degrés divers, d'autres pays dont la France et
l'Allemagne).
Pourquoi, donc, les Etats-Unis espionnent-ils leurs alliés ? S'agit-il
d'un espionnage économique, au profit du complexe militaro-industriel
? La réponse de M. Woolsey se veut cinglante : « La plupart des
technologies européennes ne méritent même pas que nous les volions. »
Quelques jours plus tôt, à Washington, ce même James Woolsey évoquait
toutefois, devant la presse étrangère, un cas d'école : est-ce qu'un
membre des services de renseignements « pourrait établir une analyse
technologique sur quelque chose en provenance d'un pays ami, sans
importance autre qu'un usage commercial, pour la laisser posée sur
l'étagère faute de pouvoir le donner à une compagnie américaine ? Je
ne le crois pas. Je crois que ce serait une mauvaise utilisation des
ressources de la communauté [du renseignement] (3). »
Mais dans la lettre ouverte à ses amis européens confiée au Wall
Street Journal la réalité est plus simple : « Eh oui, chers amis
continentaux, nous vous avons espionnés parce que vous pratiquez la
corruption. Voilà un fait toujours omis dans les articles de presse
européens. Les produits de vos compagnies sont souvent plus coûteux,
moins avancés sur le plan technologique, ou les deux à la fois, que
ceux de vos concurrents américains. En conséquence de quoi vous
corrompez beaucoup. Vos gouvernements sont tellement complices que
dans plusieurs pays européens les pots-de-vin sont encore déductibles
des impôts. Lorsque nous vous avons pris à ce jeu, voulez-vous savoir,
nous n'avons pas dit un mot aux compagnies américaines concurrentes.
Nous sommes allés, au contraire, voir les gouvernements que vous
soudoyez pour prévenir les officiels que nous ne prenions pas cette
corruption à la légère. »
M. Woolsey cite ainsi, à l'appui de sa démonstration, l'affaire Sivam.
La firme française Thomson-CSF avait perdu, à la dernière minute et
suite à des accusations de corruption mise en évidence par Echelon, le
marché de la surveillance aérienne de l'Amazonie. Le contrat de 1,4
milliards de dollars, aux juteuses commissions, s'envola au profit de
Raytheon, un important contractant du département de la défense
américain, et l'un des principaux fabricants du système Echelon.
Rappelant l'affaire, M. Woolsey oublie toutefois de rappeler que, en
novembre 1995, quelque temps après cet épisode, la presse brésilienne
publiait des transcriptions d'écoutes téléphoniques, probablement
réalisées par la NSA, mettant en cause les tentatives de corruption
d'un officiel brésilien par... Raytheon (4).
Aujourd'hui avocat à Washington, l'ex-patron de la CIA s'en tient à sa
ligne de défense : il aimerait que les Européens aillent plutôt au
fond des choses : « Pourquoi pratiquez-vous la corruption ? C'est
parce que votre saint patron économique est Jean-Baptiste Colbert,
quand le nôtre est Adam Smith. Soyez sérieux, cessez de nous critiquer
et réformez vos propres politiques économiques étatiques. Vos
compagnies deviendront plus efficaces et innovantes, elles n'auront
plus alors besoin de la corruption pour faire face à la concurrence.
Et nous n'aurons plus besoin de vous espionner. »
Philippe Rivière
Philippe Rivière est journaliste au Monde Diplomatique.
(1) The Wall Street Journal Europe, New York, 22 mars 2000. Voir la
traduction intégrale, ainsi que des liens vers les différents
rapports, sur http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/echelon/
(2) « Le système Echelon », Manière de voir, n° 46, juillet-août 1999.
(3) Cité par Duncan Campbell, « I Spy an Ally », The Guardian,
Londres, 15 mars 2000.
(4) Lire, par exemple, The Washington Post et Frankfurter Rundschau, 5
décembre 1995. Cf. Transparency International.
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